mardi 23 février 2010

Communiqué de la Fédération française des agences de presse

Enlèvement des journalistes de France 3 en Afghanistan: La Fédération française des agences de presse répond aux propos du Général Jean-Louis Georgelin. 

Arnaud Hamelin, Président de la FFAP, et lui même correspondant de guerre pendant plus de 20 ans, donne sa réponse aux propos tenus par le Général Georgelin, qui a déclaré sur Europe 1 que le coût des recherches des journalistes en Afghanistan s'élevait à ce jour à 10 millions d'euros (pour écouter le Général Georgelin, cliquez ici).

Merci, mon général ... mais ne vous arrêtez pas là!

10 millions d'euros! Diable, quelle somme! Merci mon général pour cette transparence dont l'armée, la grande muette, est peu coutumière. 10 millions d'euros, chiffre rond, qui a le mérite de frapper les esprits. Voila donc la somme que l'état français aurait déjà déboursé pour retrouver deux journalistes enlevés en Afghanistan, et dont jusqu'à présent il était officiellement recommandé de ne pas parler. Bel effort de franchise, mon général, à même de provoquer l'aigreur de nos compatriotes, dans ces temps de disette. Nous comprenons mieux maintenant d'où pourrait venir le déficit des finances publiques : des journalistes irresponsables n'y seraient pas pour rien!


Alors, mon général, n'hésitez pas, continuez, vous en avez dit trop ou trop peu. 

Vous avez parlé « argent », alors dites nous où sont passés nos millions ? Sont-ce des heures de vols des drones qui rechercheraient nos compatriotes, des liasses de billets données de la main à la main à des informateurs, des aides gracieuses accordées à des chefs de guerre qui nous assurent savoir où ils se trouvent? Fichtre, dix millions d'euros, quelle activité pour retrouver deux Français disparus depuis 55 jours ! J’observe que pour la première fois, nous avons communication d’un coût financier en relation avec notre intervention en Afghanistan. Mais est-ce ce montant là qui nous intéresse le plus ?

Poursuivant notre éducation, vous pourriez nous dire pourquoi la France et ses soldats doivent participer en Afghanistan à une guerre dont les objectifs, après huit ans d'intervention étrangère, restent flous. En quoi les intérêts vitaux de la France, ou la sécurité individuelle de nos concitoyens, sont ils menacés en Afghanistan, pour que nous y maintenions un contingent de plus de 3500 hommes, qui risquent tous les jours leurs vies, et coutent à la France plus de 100 millions d'euros par an. 107 millions sur le rapport 2009. On notera la disproportion entre les 10 millions que vous avez annoncés pour retrouver depuis 55 jours nos deux compatriotes et les 107 millions qui représentent la totalité des dépenses de l’intervention française sur l’année 2009 en Afghanistan…


Par ailleurs, mon général, que mettez vous dans l'autre plateau de cette balance ? La vie de journalistes qui cherchent à comprendre ce que notre armée est allée faire en Afghanistan ? La curiosité de professionnels reconnus qui s'interrogent sur les raisons de notre engagement et sur les moyens employés pour y parvenir ? Il me semble que c’est bien le moins qu’ils puisse faire pour éclairer nos concitoyens. Non, nous ne sommes pas des inconscients, nous faisons notre métier en quelque sorte notre devoir, comme le font en ce moment nos soldats en Afghanistan. Témoins de l'Histoire, et de notre temps , nous souhaiterions que des chefs politiques et militaires acceptent que s'ouvre dans notre pays un débat argumenté, alimenté par les faits et les images que des journalistes ont le courage d'aller chercher sur le terrain.


Ces deux journalistes disparus depuis le 30 décembre sont l’ élément incontournable d'un système qui est celui de l'information. Ce système est le garant du maintien de la démocratie, non pas en Afghanistan, où elle n'a pas de racines, mais dans notre pays, ici, en France, où elle a été inventée. Sa défense, par tous les moyens, à tous les prix, est un défi qu'il faut relever. Général Georgelin, ne nous trompons pas de guerre, il n’en existe aucune entre les militaires et les journalistes.

mardi 16 février 2010

Cobayes de guerre : la France aussi ?

Dans son édition du 16 février 2010, le Parisien - Aujourd'hui en France révélait que la France aurait délibérément exposé des appelés du contingent aux radiations provoquées par le tir d'essai atmosphérique d'une bombe A (pour lire l'article, cliquez ici), le 25 avril 1961, à Reggane, dans le Sahara algérien.

Ce tir d'essai, baptisé Gerboise Verte, est décrit par le menu dans un rapport estampillé « confidentiel défense », et intitulé « la genèse de l'organisation et les expérimentations au Sahara » (pour lire le rapport, cliquez ici) ; un rapport qui aurait été rédigé par des militaires français en 1998, juste après l'abandon définitif des tirs d'essais nucléaires.

Selon ce document, trois cent soldats, appartenant à des régiments basés en Allemagne, auraient reçu l'ordre d'effectuer de s'approcher à moins de 300 mètres du point d'impact de la bombe, juste après le tir. Objectif déclaré de la manœuvre : simuler une phase de combat afin d'étudier « la réoccupation d'une position touchée par une explosion nucléaire ». Objectif moins avouable : « étudier les effets physiologiques et psychologiques produit sur l'homme par l'arme atomique »...

Le rapport publié par le Parisien ne serait apparemment que le tome 1 d'une série de rapports, dont le contenu reste à ce jour inconnu. Interrogé à ce sujet par le Parisien, Hervé Morin, ministre de la défense, a lapidairement répondu : « n’ayant pas personnellement connaissance du tome I, il m’est impossible de connaître le tome II. » Une méconnaissance qui ne l'a pourtant pas empêché d'affirmer que « les doses reçues [par les soldats, NDLR] étaient très faibles... » (pour lire l'interview, cliquez ici)

Naïveté feinte de la part du ministre ? On peut, sans trop prendre de risques, être enclin à le penser : le scoop du Parisien, en effet, avait déjà été publié par le Nouvel Observateur en 1998 (accessible ici)... Mieux encore : le ministère de la défense lui-même avait publié cette information en janvier 2007, dans un dossier de presse sur « les essais nucléaires et leur suivi au Sahara » (lisible ici). Ce dossier de presse évoquait d'ailleurs un autre tir, Gerboise Rouge, en date du 27 décembre 1960, après lequel auraient été menés des exercices de « reconnaissances d'itinéraires en milieu contaminé avec des hélicoptères guidant des blindés, des mouvements de fantassins munis de tous leurs équipements de protection ainsi que des essais de décontamination de matériel en campagne ».

L'Union Soviétique, les Etats-Unis, le Royaume Uni : toutes les puissances pionnières de l'arme nucléaire se sont ainsi livrées à ce type d'expérience, sacrifiant des soldats, et parfois des civils. En 1991, Sunset Presse avait produit pour la 5 un film bouleversant, retraçant le calvaire silencieux des victimes des retombées d'essais nucléaires américains :

Les Damnés de l'Atome

Un film de Jean-Pierre Van Geirt et Nicolas Forest

En 1951, six ans après Hiroshima, les Etats-Unis se lancent dans une campagne de tirs d'essais atmosphériques, dans le désert du Nevada. En sept ans, les militaires américains font exploser plus d'une centaine de bombes atomiques sur la zone. Les retombées radioactives de plusieurs de ces essais se répandent sur les régions habitées de l’Utah, notamment sur une petite ville de 5.000 habitants : Saint George.

A l’époque, le Département américain de l'énergie fait tout pour rassurer la population locale, l’encourageant même à assister aux explosions... Seule recommandation : protéger ses yeux avec des lunettes noires. Des films de propagande montrent même des soldats américains à l’exercice, marchant sans crainte vers le champignon mortel. Tout le monde vit à l’heure atomique, avec un seul mot d'ordre :“c’est sans danger !”.

Quarante ans plus tard, les habitants de Saint George vivaient encore les séquelles de ces expériences atomiques. Des cancers plus nombreux qu’ailleurs, des leucémies, des enfants atteints de trisomie 21... Avec fatalisme et résignation, la petite ville de l’Utah continuait à enterrer ses morts.

En 1992, Sunset Presse produisait, pour M6 cette fois (Zone Interdite), un autre film, consacré à d'autres victimes de la raison d'Etat :

Cobayes de Guerre
Un film de Jean-Pierre Van Geirt

Prêts à tout pour servir leur pays, des milliers de volontaires américains, ont accepté, durant la Seconde guerre mondiale, de participer à diverses expériences dans l’intérêt de la Nation. Ce qu'ignoraient ces quelques 60.000 volontaires, c'est qu'ils allaient servir de cobayes, en prévision d’une éventuelle guerre chimique, et que les tests de résistance aux gaz moutarde imaginés par le gouvernement les meurtriraient dans leurs chairs jusqu'à la fin de leurs jours. Il aura fallu 50 ans pour rompre le silence que l’armée avait imposé concernant ces expériences inhumaines...

En écoutant les témoignages terrifiants rassemblés dans ces deux films, on imagine sans peine l'enfer qu'ont vécu dans leur chair les centaines de soldats du contingent, exposés aux retombées radioactivesà Reggane, et condamnés au silence au nom de la raison d'Etat.
 
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